Comme j’aime à le dire avec humour, un désaccord règne entre astronomes et fabricants de robinetterie.
Pour les uns, le rouge renvoie à la chaleur pour les autres au froid.
Si cette différence de représentations est possible, c’est que les couleurs que nous percevons ne sont pas seulement un phénomène neurobiologique, biologique, mais le fruit d’un ensemble culturel dans lequel sont invoqués tout à la fois l’imagination, la mémoire, le savoir, la vie collective…
La couleur est une construction sociale.
Partons d’un constat simple, au cours d’une observation à l’œil nu, nous distinguons clairement des étoiles bleues parfois blanches et des étoiles rouges.
L’ordre des couleurs en Occident a d’abord été celui élaboré par Aristote, de la couleur la plus claire à la plus foncée, plaçant le rouge au centre de l’axe chromatique.
Le rouge ramène à une symbolique du sang et du feu qui peut être tout à la fois positive ou négative. Le feu, c’est la lumière et la chaleur, tout comme le soleil auquel il est apparenté. Mais c’est aussi une source de vie, perçue comme un être vivant symbolisé par la couleur rouge dans les sociétés anciennes. Le sang qui est un autre référent de cette couleur, témoigne du caractère ambivalent qu’elle évoque : le sang, c’est la vie, mais c’est aussi la mort, la violence, le guerrier.
Nulle surprise que la planète Mars soit celle du dieu Arés/Mars et que l’étoile principale de la constellation du Scorpion, de couleur rouge soit nommée Antarès, ce qui littéralement signifie « l’autre Arés ».
Pour le bleu, il en est tout autrement.
C’est une couleur discrète, peu usitée dans la vie quotidienne et à la symbolique faible. De l’antiquité au 12e siècle, le bleu est la couleur des Barbares, des Celtes et des Germains. Disgracieuse, inquiétante, elle réfère à la mort et aux enfers.
La perception de la couleur est culturelle donc et le bleu l’illustre bien.
Absent des discours scientifiques concernant l’arc-en-ciel, le bleu n’est même pas la couleur du ciel ; artistes et auteurs utilisent le plus souvent le blanc, le rouge ou le doré.
Pendant longtemps, il est admis qu’une couleur que l’on ne regarde pas est une couleur qui n’existe pas. Cette conception est héritée de Platon et des savants Grecs de la période hellénistique : pour eux, la couleur est mouvement. La couleur tout comme la lumière est non seulement mouvante, mais met également en mouvement tout ce qu’elle touche.
La vision colorée est une action.
Puis l’optique resté au point mort depuis le 13e siècle va connaitre une avancée majeure avec la découverte du spectre, en 1666 par Newton. La lumière est composée de rayons de différentes couleurs.
Ce changement à la fois de paradigme et de classement des couleurs ne se fait pas instantanément.
Le rouge, couleur centrale se voit relégué à la marge ou à la fin de la gamme chromatique, entrainant le trouble.
Jusqu’au tournant du 18e siècle. Le rouge tout comme les autres couleurs du spectre, se mesure et perd de son mystère. Les questions qui portaient sur la couleur et qui jusqu’alors avaient traversé les siècles s’effacent derrière de nouveaux centres d’intérêt.
La science poursuit ses avancées. La spectrométrie voit le jour en 1859. En analysant le spectre d’une source lumineuse comme une étoile, il est possible d’en connaitre la composition chimique, la température, la distance, la vitesse ou bien encore l’âge. Le spectre est comme une empreinte digitale de l’objet qui l’émet.
Et la couleur de l’étoile dépend de sa température de surface. Plus une étoile est froide, plus elle sera rouge. Plus elle est chaude et plus elle sera bleue/blanche. À la façon d’un métal que l’on chauffe et que l’on peut voir passer du rouge à l’orange, au jaune jusqu’à devenir incandescent.
Mais ceci, n’explique pas totalement, l’opposition entre astronomes et fabricants de robinetterie.
Nous l’avons vu, le bleu est une couleur plutôt malaimée ; son statut va singulièrement changer à partir du 12e siècle : il devient la couleur de la vierge Marie. Cette promotion va faire des émules auprès des rois de France qui endossent à leur tour cette couleur. Soutenue également par la figure légendaire du roi Arthur à laquelle cette couleur sera rattachée.
Le bleu qui était une couleur chaude va peu à peu devenir une couleur froide. Le bleu représente à présent l’eau, un élément froid, détrônant au passage le vert qui lui était échu jusqu’alors.
Le rouge quant à lui, relégué comme nous l’avons vu à la marge ou en bout de la gamme chromatique, perd son statut dominant en conservant toutefois la force de sa symbolique, celle du feu et de la chaleur.
D’où cette utilisation chromatique pour les robinets.
Je vois poindre une dernière interrogation, le bleu, le blanc et le rouge des étoiles que l’on observe, d’accord, mais pourquoi les représentons-nous le plus souvent dans nos dessins en jaune tout comme le soleil ?
Que ce soit dans les religions et dans les mythologies, le soleil quelle que soit sa forme est le plus souvent représenté et décrit comme jaune.
Le jaune, c’est la lumière, l’éclat, la fécondité dans l’imaginaire des Anciens, un imaginaire qui a su traverser le temps jusqu’à nous.
Pour aller plus loin :
« Rouge – Histoire d’une couleur »
Michel Pastoureau – Edition du Seuil.
« Vert – Histoire d’une couleur »
Michel Pastoureau – Edition du Seuil.
« Bleu – Histoire d’une couleur »
Michel Pastoureau – Edition du Seuil.
« Jaune – Histoire d’une couleur »
Michel Pastoureau – Edition du Seuil.
« Une Histoire De La Lumière – La Spectroscopie »
Stéphane Le Gars – Edition Vuibert-Adapt.