Huitième siècle,
Dans le désert de Jordanie, un petit bain est construit pour un calife de Damas. Il y a une chambre.
Une chambre qui servait à se rafraîchir après le bain.
Une chambre, dans laquelle, je suis certaine, tu aimerais être pour échapper à la chaleur estivale.
Sur la voûte, des artistes grecs ont représenté le ciel du nord et dans ce ciel, il est une constellation qui va nous intéresser tout particulièrement.
Mais retraversons le temps et l’espace, du désert jusqu’à cette nuit du 16 mai.
Nuit où la Lune est passée dans l’ombre de la terre.
Pour que cela ait pu se produire, il fallait que notre satellite naturel se trouve proche ou à l’endroit de ce qu’on appelle les nœuds lunaires. Nœuds lunaires qui sont les points d’intersection entre l’orbite de la lune et le plan de l’orbite de la terre.
Au cœur des pages d’anciens livres de culture arabe, ces nœuds portent le nom de al-gawzahr.
Comme les nœuds sont au nombre de deux, ils se nomment respectivement ra’s al-gawzahr et danab al-gawzahr. En les traduisant, cela donne « la tête » et « la queue » du gawzahr.
Le gawzahr se retrouve en Iran sous la forme gozihr et c’est par ce terme perse que tout s’éclaire.
Car le gozihr n’est autre que le monstre, le dragon. Un dragon qui rappelle un épisode de la mythologie Hindoue :
À l’origine, Svarbhānu comme tous les êtres démoniaques était doté d’un corps. Mais ayant dérobé le nectar d’immortalité des dieux, la Lune et le Soleil qui l’ont vu faire le dénoncent. Vishnou va alors lui trancher la tête. Tête immortelle qui deviendra le démon Râhu et le corps un serpent appelé Ketu. Depuis, il erre dans l’espace et pour se venger, il tente de dévorer le soleil et la lune causant les éclipses.
Comme tu viens de le comprendre, ce dragon responsable des éclipses, n’est autre que la constellation du Dragon visible sous nos latitudes toute l’année. Un dragon dont la longueur dépassait largement celle qu’il possède aujourd’hui. Un dragon qui fut longtemps représenté avec un nœud en forme de cœur dessiné par le cours sinueux de son corps.
Source : Stellarium
Le nœud en forme de cœur est un symbole astronomique rappelant les nœuds lunaires. La tête et la queue situées chacune à l’emplacement des nœuds, permettaient le calcul des éclipses.
Mais le nœud est aussi une évocation des dieux lieurs, anciennes divinités qui utilisaient lasso, lacet et corde pour affronter leurs adversaires.
Car le nœud est d’un usage double. Il peut tout à la fois provoquer le mal, mais peut aussi le conjurer.
Et c’est pour cette raison que le dragon est lié, pour éviter les éclipses.
Il me semble que je n’ai pas besoin de te convaincre beaucoup, pour que tu ressentes que la figure du dragon est riche et plurielle.
Oui, nous ne faisons que survoler l’histoire de cette créature. Mais gardons, si tu le veux bien, deux choses à l’esprit :
Le temps qui sépare le passage de la lune entre deux nœuds est appelé révolution draconitique.
Et l’étoile située tout au bout de la queue de notre constellation du Dragon a gardé le nom Giausar dérivé de gawzahr.
Un souvenir d’un passé pas si lointain où le monde était habité par des créatures fantastiques.
Pour aller plus loin :
« Éclipse ou Apocalypse. Remarques autour du nœud du dragon dans les miniatures des Commentaires de l’Apocalypse de Beatus de Liébana » (Eclipse or Apocalypse. On the Dragon Knot in the Miniatures of the Beatus of Liébana’s Commentaries of the Apocalypse)
Anna Caiozzo – p. 125-154, disponible sur internet.
« Le ciel des Arabes »
Roland Laffitte – Edition Librairie orientaliste Paul Geuthner.
Vignette de l’article issue de la BnF
« ʿAbd al-Raḥmān ibn ʿUmar al-Ṣūfī. Kitāb ṣuwar al-kawākib al-ṯābita. » (Livre des étoiles fixes)
Samarcande, vers 1430-1440
BnF, département des Manuscrits, Arabe 5036
Bnf, Editions multimédias, 2019, disponible en ligne.